Plus de femmes, moins d’affaires d’adultères et beaucoup d’enquêtes pour les entreprises privées. Le métier de détective n’a plus rien à voir avec celui exercé dans les années 80.
On les imagine souvent planqués derrière un buisson, un appareil photo et un enregistreur dernier cri à la main. D’autres les voient affublés d’un borsalino, d’un imper et d’une loupe. Pourtant, aux Etats généraux des détectives privés, ce jeudi à Paris, à quelques pas des Champs-Elysées, aucune trace de Sherlock Holmes ou de Nestor Burma. La profession est jeune et vêtue de costumes chic. Aucune trace de la loupe, ni de l’enregistreur. Ici, c’est un attaché-case que l’on porte à la main. D’ailleurs, on ne les appelle même plus «détectives privés». Désormais, c’est le terme «agent de recherches privé» (ARP) qu’il faut utiliser. Ou celui d’«enquêteur».
Près de quatre-vingts personnes ont fait le déplacement pour savoir où en était la révision de la loi qui régit depuis 1983 la profession. Dans la salle aux couleurs vives, les costumes noirs sont de rigueur. Même pour les quelques jeunes femmes présentes. «Il y a de plus en plus de filles dans la profession, même si c’est un métier d’hommes», confirme Sophie Mas, enquêtrice depuis cinq ans pour une société basée dans le sud de la France. Talons aiguilles noirs, jupe noire et veste noire, cette ancienne étudiante en droit de 30 ans ne paraît pas avoir le look de l’emploi. «Avant, certains clients me demandaient : “Mais vous allez aussi sur le terrain ?” Ils ne me croyaient pas. Mais quand on est une femme, c’est parfois plus facile. Moi, quand on me voit, personne ne se dit que je suis en filature. C’est moins détectable qu’un homme.» Aujourd’hui, les femmes ne représentent encore que 10% des agents de recherches privés. Mais leur nombre évolue rapidement depuis la réglementation du métier. «Depuis 2005, il y a beaucoup plus d’anciens étudiants en droit qu’avant, et la majorité de ces étudiants sont des femmes, explique Sophie. Les écoles d’enquêteurs sont remplies de juristes.»
Des outils accessibles à tous
Au total, il existe quatre formations menant au métier de détective privé. Depuis 2003, elles sont obligatoires pour obtenir l’agrément nécessaire à son exercice, ce qui explique en partie la baisse du nombre d’agences en France (de 3 000 en 2000, leur nombre n’est plus que de 800 aujourd’hui). Jean-Christophe Schmitt, enquêteur à son compte depuis 1988, n’était pas passé par une école. Son expérience, largement supérieure aux deux ans requis pour obtenir l’agrément, a suffi pour qu’il puisse continuer à exercer. Mais son travail a beaucoup évolué depuis ses débuts, il y a vingt-six ans. «Depuis que la réglementation est entrée en vigueur, on agit dans un cadre beaucoup plus restreint, explique-t-il. Mais on bénéficie aussi d’une reconnaissance plus importante. Il existait encore il y quelques années des pratiques à l’ancienne, un peu “borderline”. Aujourd’hui, elles ont presque toutes disparu, car on peut se faire radier à tout moment.» Depuis janvier 2012, date de la création du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), les contrôles des agents de recherches privés se sont renforcés.
Ecoutes téléphoniques, enregistrements et autres techniques d’enquête sont formellement interdits. Avec en tête des obligations, le respect de la vie privée. Finalement, le métier de détective privé semble bien moins rock’n’roll que ce qu’on pourrait imaginer. «On ne peut utiliser que les outils accessibles à tous les citoyens, explique Sophie Mas. Mettre sur écoute, c’est interdit. On n’a pas plus de droits qu’un autre. Si on fait quelque chose qui va à l’encontre de l’agrément, on le perd et notre carrière s’arrête là.»
Moins d’affaires de mœurs
Alors fini les photos volées ? Presque. Car le terrain et les filatures demeurent l’une des activités principales du détective privé. Même si ce n’est plus pour suivre un conjoint volage ou une maîtresse trop présente. «On bosse beaucoup pour des entreprises, explique Sophie Mas. Ça représente environ 70% de notre travail.» En tant qu’enquêtrice pour une agence privée, une grande partie de son travail se déroule sur le terrain. Que ce soit dans sa voiture ou en filature. Mais elle reconnaît qu’elle doit aussi rédiger de nombreux rapports, dont la vocation est soit d’ouvrir une procédure judiciaire, soit de permettre à des entreprises d’enquêter sur un vol interne ou sur des détournements de fonds. «Je préfère travailler pour des particuliers, c’est moins froid», confie-t-elle, même si cela ne représente qu’une faible part de son travail. «On est dans la sphère affective, qui est beaucoup plus forte.»
De son côté, Jean-Christophe Schmitt est plutôt satisfait de s’occuper d’affaires économiques. «Avant, je m’occupais beaucoup plus d’affaires de mœurs, d’adultères et de divorces. Aujourd’hui, ces enquêtes sont rares, quand elles existent encore… Il n’y a plus vraiment de dossiers sur les mœurs, à part lorsqu’il s’agit d’héritages ou de grosses fortunes.» Quand il a commencé en 1988, il a «compris que c’était le moment de se lancer. On était déjà en plein bouleversement économique. Le métier allait forcément s’orienter vers quelque chose de différent».
Internet n’empêche pas le travail de terrain
Aujourd’hui, un détective privé reçoit entre 60 et 130 euros de l’heure. Un tarif élevé, à une époque où l’on pourrait croire qu’Internet peut apporter une réponse à toutes les questions. «Atteintes aux entreprises, vols de matériel, détournements de fonds, concurrence déloyale ou contrefaçon. Tout cela cause de gros préjudices aux entreprises et c’est sur cela que nous travaillons», explique Jean-Christophe Schmitt. «La réponse des services officiels est limitée lorsqu’il s’agit de ce type de préjudices. Le seul recours pour une entreprise, c’est le détective privé.» Lorsqu’un représentant d’entreprise arrive dans son bureau, il pose généralement un dossier complet collecté sur Internet et ses réseaux sociaux. «Ce qu’il demande, c’est ce qu’on peut lui apporter de plus. Rencontrer la personne, l’écouter, la voir, lui parler. Tout cela est essentiel pour constituer un dossier capable de se retrouver sur le bureau d’un juge. On ne peut aujourd’hui se contenter d’Internet», ajoute-t-il. Idem pour Sophie, qui estime qu’Internet «permet de réaliser une pré-enquête» : «On peut aussi faire du repérage, grâce à la street view de Google Maps, par exemple. Du coup, quand on va sur le terrain, c’est beaucoup plus simple. On visualise mieux les lieux, donc on est plus efficace.»
Travaillent-ils avec des hackers ? Difficile d’obtenir une réponse claire. Jean-Christophe Schmitt avoue cependant que sur ses quatre employés, deux sont des experts en informatique. «Ils sont capables de démembrer un ordinateur et de trouver une information cachée au fond d’un disque dur. Aujourd’hui, on ne peut pas travailler si on exclut de telles pistes.» Et si c’est avec nostalgie qu’il se souvient de l’époque où «il fallait utiliser les cabines téléphoniques pour passer ses coups de fil», c’est avec beaucoup d’optimisme qu’il envisage l’avenir de sa profession. «On est enfin entrés dans la sphère moderne. Il ne reste plus qu’à obtenir plus de prérogatives.» Par ce terme, il entend un accès aux fichiers administratifs. L’une des principales revendications de tous les détectives, qui espèrent obtenir des droits similaires à ceux de leurs collègues du ministère de l’Intérieur.
Source : http://www.liberation.fr/societe/2014/04/18/c-est-quoi-etre-detective-prive-en-2014_1000040
Article du 18 avril 2014 – Auteur : Aude DERAEDT